Le mot « libéral » est brûlé, condamné. L’argument ressort régulièrement, porté le plus souvent par des libéraux excédés de voir leurs idées balayées au prétexte que « les Français n’aiment pas le libéralisme ». « Madelin a fait 3 % » est l’argument qui tue. Ils l’ont tous à la bouche, notamment à droite. A gauche, n’en
parlons pas. Bertrand Delanoë s’est mordu les doigts de s’être déclaré « libéral » quelques semaines avant l’explosion de la crise financière qui a fait du libéralisme, à tort, mais nous y reviendrons, l’ennemi public numéro  1.
L’adjectif « libéral » est ancien et désigne, dans un premier temps, ce qui est relatif à un homme libre, puis ce qui est digne de lui. On parlera d’arts libéraux, ces savoirs fondamentaux à la fois littéraires et mathématiques au fondement de l’éducation des citoyens antiques comme des lettrés du Moyen Âge et de la Renaissance. Ils sont dits « libéraux » car ils contribuent, par la transmission de la connaissance, à l’autonomiser et donc à le libérer. Aristote y fait référence dans sa Politique et surtout dans sa Métaphysique.
 
La connotation est infiniment positive puisqu’elle renvoie à un homme généreux, qui aime à donner. De là, les libéralités, ces dons au bénéfice des légataires. Ce n’est qu’au début du xixe siècle qu’il fait son apparition dans le monde politique. Il aurait été utilisé pour la première fois en 1812, en Espagne, pour qualifier la Junte de Cadix. Etre libéral, c’était s’opposer à la monarchie absolue, arbitraire et liberticide, au profit d’un régime constitutionnel respectueux de la liberté individuelle. D’aucuns affirment qu’il est apparu vingt ans plus tôt, en France, pour qualifier un groupe d’intellectuels, et que les « indépendants » qui affrontèrent les « ultras », conservateurs et monarchistes, aux élections de 1817, se sont eux-mêmes qualifiés de « libéraux ».
 
Quand on part à la racine du mot, on est bien loin des caricatures : des origines françaises, une défense acharnée des droits fondamentaux de chacun, une empreinte généreuse très éloignée du « grand méchant marché ».
 
Aujourd’hui, toute personne se disant réformiste est immédiatement taxée de « libérale », voire d’« ultralibérale », par les tenants du conservatisme et du repli sur soi. Mais ces derniers sentent de plus en plus le réchauffé, voire le moisi, et la prise de conscience de leur inefficacité à créer le bonheur s’installe. Faut-il, pour redevenir audible, oublier ce mot ? J’aspire à le porter avec passion, sans catéchisme mais en cohérence, en étant donc le plus possible ouvert, curieux et respectueux de l’autre. Il est trop porteur de sens, trop beau pour lui tourner le dos. Je comprends aussi tous ceux qui s’en cachent, par tactique, ou ceux, bien plus nombreux, qui ne savent pas qu’ils le sont, mais portent au quotidien ces valeurs de bon sens. Il va juste falloir qu’ils se manifestent, tous, bientôt, pour que le politique sente monter la vague et trouve un intérêt à se les approprier.