vendredi 21 juin 2013

L’âge du renoncement de Chantal Delsol Éditions du Cerf, 2012. Par Lucien Samir Oulahbib

Dans cet ouvrage, la philosophe française analyse le défi de l’époque comme volonté de donner congé à la vérité, qu’elle soit révélée ou promise (Aufklärung), mais comme une perte sans fracas. Une euthanasie douce. Assistée. Un « lâche soulagement ».

 À l’ombre des philosophies silencieuses, les majorités du même nom sont en effet invités au consensus confortable du « polythéisme des valeurs » dont parlait déjà Max Weber dans les années 20 et de telle sorte qu’il s’agit aujourd’hui plutôt d’un renoncement volontaire, apaisement plutôt que confrontation, semblable à cette terrible nouvelle de Tzvi Fishman Éditions (Les Provinciales, 2012), EHOUD.

Belle définition du « vrai » racisme. Le « vrai ». Il a été remplacé par « l’utile » ce qui fait qu’il est impossible d’en saisir la réalité, hors statistiques, hors injonction de cette élite dite « mondiale » sommant par exemple les peuples d’Europe de renoncer. En proie au « vieillissement » ne devraient-ils pas souscrire à la fin des frontières (de genre y compris) ? Cette exigence fait office de « vérité » non dite presque révélée. Mais que les peuples en excès démographique soient réduits à des bras et à des ventres, importe peu. Et le fait qu’ils exportent en plus leur culture qu’ils aimeraient voir être également considérée comme étant d’exception et par là protégée, s’avère être une curiosité de plus dans la pièce du même nom.

Chantal Delsol relève à plusieurs reprises ces traces, très sympathiques, celles de ces utilités assénées cependant comme des vérités non dites au sens d’être vécues comme autant d’impératifs catégoriques moraux culpabilisants.

Ainsi si l’idée de vérité religieuse a bien été écartée au profit d’une exactitude dite « scientifique » doublée d’une « morale » appelant au « respect » des droits de l’homme, la première n’a cependant pas donnée les résultats espérés en matière de progrès et surtout de compréhension de l’humain dans l’univers — réduit plutôt à n’être qu’une poussière stellaire suspendue à sa destruction postmoderne — tandis que les principes de la seconde, comme la démocratie, sont détournés, par exemple en Europe, au profit d’un discours redondant et uniformisant qui étouffe bien plus les contradictions qu’il ne les dépasse (Aufhebung) passant outre aux refus des peuples en les faisant revoter jusqu’à ce qu’ils se tiennent comme il faut, les sermonnant à l’occasion comme ces Suisses décidément inclassables.

La destruction du lien entre liberté et vérité fait donc place en apparence au retour des discours anciens du polythéisme et des « sagesses », mais ce non pas en tant qu’ils exprimeraient une diversité réduite à rien dans le monothéisme, plutôt au fait que leur retour expriment le renoncement enfin assumé d’une certaine figure de l’Humain que Foucault appelait de ses vœux lorsqu’il annonçait cette « mort de l’Homme » tel un visage qui s’efface sur le sable, accompagné seulement par un rire silencieux en signe d’éloge funèbre, (n’est pas Bossuet qui veut). L’idéologie queer et autre « trouble dans le genre » se réclamant de cet effacement ont aujourd’hui pignon sur rue et au plus haut niveau, et tou(te)s en appellent à « l’exception culturelle » ou comment cultiver des variétés de post humains via PMA et GPA, néo-eugénisme en attente de légalisation ; ce qui cependant complique la critique envers le technocratisme de la Commission européenne puisque celle-ci en la personne de Barroso peut à la fois traiter de « réactionnaire » l’idée même de soustraire la culture aux conditions économique de l’échange et à la fois critiquer tout peuple qui aimerait précisément préserver sa culture dans les faits. Par exemple en refusant le multiculturalisme, qui, à la différence du pluralisme culturel, exige une « égalité des droits » (lui aussi…) au sens constitutionnel d’avoir droit à ce que chaque « communauté » déploie ses « propres » lois ; c’est, d’ailleurs, ce qui fit hésiter Charles Taylor en prise implicite avec John Rawls sur le fait de savoir si le principe de différence pouvait être supérieur au principe d’égalité alors que Rawls, après avoir lui aussi hésité, avait enfin de compte récusé cette « discrimination positive » dans le second Opus de son ouvrage majeur sur la question.

 Nous en serions là donc : renoncer à un moi de toute façon haïssable ou la servitude volontaire d’une époque dans laquelle les prostituées désirent désormais se faire appeler « courtisanes » et peuvent ainsi être rouées de coups au nom de la liberté : rien de nouveau sous le soleil. Sauf que Louis XIV n’est plus enseigné ou si peu. Comme auparavant (chinois) de cette fameuse bibliothèque de Borges qui faisait tant rire Foucault dans la préface des mots et des choses : les bons mots font ainsi office de bonnes choses à boire et à manger ou l’auberge espagnole dans lesquelles les mets sont seulement les maux et leurs mœurs. Ainsi tout va pour le mieux dans le plus silencieux des mondes. Détruit. Une italique qui assure cependant un « renoncement prudent » annonce Chantal Delsol (p.295) : principe de précaution oblige. Mais certains se veulent « dépositaires d’une autre âme du monde, dont ils veillent la lueur captive » conclue-t-elle. Ce qui laisse espérer l’avènement d’un autre âge où l’on ne renoncerait pas. Pas à pas. Tel un nouveau souffle. À venir. Qui sait...

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