jeudi 29 août 2013

Budget 2014 : entre hausses d’impôts et économies virtuelles

Le 29 août 2013 par Samuel-Frédéric Servière et Agnès Verdier-Molinié

A l’heure où l’on ne parle que de la non-réforme des retraites et de l’option choisie de ne pas faire d’économies mais de taxer plus en augmentant les cotisations, tournant le dos à la vraie réforme qui serait d’aligner tous les systèmes de retraites, le gouvernement veut continuer de nous faire croire que 2014 rimera avec économies. La question qui se pose maintenant est : quelles économies ?
"Les économies pour 2014 seront sans précédent (…) : 10 milliards d’euros d’économies, ça ne s’est jamais vu" a
déclaré le Premier ministre Jean-Marc Ayrault le 25 août sur France 2. Ça ne s’est jamais vu et cela ne se verra pas en 2014. 2014 sera encore une année de hausses d’impôts contrairement a ce qui avait été promis notamment car les baisses de dépenses annoncées sont en partie fictives. La Fondation iFRAP s’est penchée sur les documents budgétaires 2014 et remet fortement en question le montant des économies qui seront réellement effectuées. Difficile de donner un chiffre précis compte tenu d’un certain manque de transparence mais entre 1,3 et 2,7 milliards parmi les 10 annoncés seraient des économies virtuelles. Soit un quart des annonces d’économies gouvernementales sur le budget de l’Etat. Explications.
Le gouvernement a annoncé un effort de 14 milliards d’euros d’économies sur l’ensemble des dépenses publiques dont 9 sur le seul budget de l’État. Rassurez vous, globalement le budget de l’État ne baissera pas, il stagnera, passant de 371,5 à 371,4 milliards d’euros (100 millions d’euros de moins…) si l’on se contente des dépenses sous norme. En réalité, la « maîtrise » affichée des dépenses, dépend en grande partie de ce que les pouvoirs publics choisissent de placer et de financer en dedans ou en dehors des normes.
Actuellement, les normes de dépenses qui s’imposent à l’État sont doubles :
- La norme zéro valeur soit, en clair, les dépenses qui doivent être stabilisées à l’euro l’euro.Cette norme zéro valeur (278 milliards d’euros en 2014) comprend les dépenses du budget général, ainsi que les prélèvements sur recettes opérés au profit des collectivités territoriales et de l’Union européenne ainsi que le plafonnement des taxes affectées aux opérateurs.
- La norme zéro volume qui intègre les dépenses sous norme zéro valeur (pas de progression de la dépense d’une année sur l’autre en euros courants) auxquelles sont ajoutés la contribution de l’État aux pensions de ses agents ainsi que le financement du service de la dette (l’ensemble doit être stable en euros constants).
Le gouvernement, estime que le tendanciel de hausse naturelle des dépenses comprises dans la norme zéro valeur est de 7 milliards d’euros par an et revendique ce chiffre comme étant celui de la Cour des comptes. Pourtant, pour 2013, la Cour des comptes avait validé un tendanciel de hausse naturelle entre 2012 et 2013 de seulement 6 milliards… alors que Bercy affichait alors un chiffre de 9 milliards d’euros et donc largement 3 milliards d’euros d’économies pour le moins virtuelles.
Il faut comprendre que les « économies » que l’on nous annonce tous les ans ne sont que le résultat de la « non-augmentation » des dépenses d’une année sur l’autre et non une baisse de la dépense de l’Etat en valeur absolue.
La Fondation iFRAP et la Cour des comptes avaient déjà taclé Bercy sur le budget 2013 où les économies annoncées étaient largement surestimées à 9 milliards d’euros. Alors que, selon leurs chiffrages concordants elles étaient –en vertu du tendanciel de hausse réel- au maximum de 5,7 milliards à 6 milliards d’euros pour 2013. La nouvelle appréciation du gouvernement à 7 milliards pour 2014 laisse donc perplexe dans la mesure où cette estimation laisserait penser que les économies réalisées entre 2012 et 2013 n’ont pas du tout infléchi la structure dépensière de nos administrations centrales.
Cela corroborerait l’intuition que les économies affichées depuis l’accession au pouvoir du gouvernement ont été seulement des « coups de rabots » et pas des réformes de fond [1] mais ceci n’explique pas tout car avec des budgets qui stagnent comment comprendre que le tendanciel demeure toujours aussi élevé ? Cela n’a pas de sens. D’ailleurs, Bercy n’a pas voulu transmettre, contrairement à l’année dernière, à la Cour des comptes, les éléments chiffrés qui auraient pu lui permettre de recalculer le tendanciel de hausse des dépenses.
L’évolution des dépenses est encore une fois sans doute surestimée et les baisses de dépenses bien moins importantes qu’annoncées. 6 milliards de tendanciel de hausse devrait être le grand maximum et il serait même plus juste d’imaginer que le tendanciel soit compris dans une fourchette 4,3 et 5,3 milliards d’euros.
Sur la norme zéro volume (charge de la dette et pensions), les difficultés sont autres, le gouvernement n’ayant pas affiché de prévision sur l’augmentation naturelle de ces dépenses. Pourtant, les tendanciels publiés par la Cour des comptes étaient très forts sur ces deux postes de dépenses : +3 milliards sur les intérêts de la dette de l’État et +1,5 milliard sur les pensions des agents de l’État pour 2013. Sur ce champ, l’ensemble des dépenses devrait augmenter selon Bercy entre 2013 et 2014 de 1,3 milliard d’euros, montant compensé en affichage (-1,4 milliard d’euros) sur les économies réalisées sur la norme zéro valeur.
On comprend toute la fragilité de cette hypothèse. Elle repose sur une maîtrise de l’endettement de la France qui suppose le maintien de taux bas. Ce qui reste très aléatoire, d’autant plus avec la récente dégradation de la dette française par Fitch de AAA à AA+ (OAT à 10 ans à 2,53% le 23 août, elle était à 1,7% en mai).
Elle suppose également une maîtrise de la contribution de l’État aux pensions des fonctionnaires, ce qui est là aussi difficile dans la mesure où la Direction générale de la fonction publique maîtrise mal l’évolution anticipée des départs en retraites de ses agents.
Il s’imposera de regarder de très près les documents budgétaires qui seront transmis au Parlement fin septembre. Il n’est pas impossible que l’affichage de 9 milliards d’économies soit en réalité très en deçà, autour de 6 ou 7 milliards d’euros. A ce stade, il est difficile de donner un chiffre exact de surestimation des efforts fournis par le gouvernement en la matière. Néanmoins, la fourchette d’économies surestimées par le Gouvernement doit se situer entre 1,3 et 2,7 milliards d’euros. Nous pourrons chiffrer cela plus précisément lorsque nous serons en possession du projet de loi de Finances pour 2014.


[1] En effet, des économies "structurelles" devraient permettre de soit abaisser fortement le tendanciel (cas d’abandon par exemple de certaines politiques publiques), ou au contraire l’augmenter très fortement par compression sur des périmètres si aucune réforme de structure n’est entreprise. Le fait de conserver à peu près un tendanciel identique tend plutôt à démontrer que les vrais efforts n’ont pas réellement eu lieu et que l’ensemble des budgets sont élagués mais pas modifiés substantiellement.

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