lundi 28 octobre 2013

Faut-il craindre, comme The Economist, l'explosion de la dette privée en Europe ?

Atlantico : Mario Draghi vient de relancer le débat sur le Mécanisme de Résolution Unique lors du Conseil Européen de ce week-end. Dans un premier temps, la BCE lancera prochainement un plan d'évaluation de la qualité des bilans des 128 plus grosses banques du Vieux continent. Au coeur de cette préoccupation se trouve le problème de la dette privée qui, selon The Economist (lire ici), menacerait une bonne partie des économies européennes. Alors que la situation des dettes publiques inquiète beaucoup, ne doit-on pas paradoxalement se méfier des dettes des ménages et des entreprises non financières ?

Jean-Paul Betbèze : Pour comprendre ce dont il s'agit, il faut d'abord se dire que la reprise économique en zone euro passe par les PME. Les PME représentent 70 % de la valeur ajoutée et de l'emploi en zone euro. Il faut ajouter alors que cette reprise économique par les PME passe à son tour par les banques qui représentent 2/3 du financement de l'économie. Nous ne sommes pas du tout aux USA, où c'est l'inverse ! Or, et encore maintenant, il y a un problème de financement des PME en zone euro : la qualité moyenne des crédits est insuffisante, avec des banques insuffisamment capitalisées. Dans ce contexte, et encore une fois au niveau de la zone euro, la politique monétaire est bloquée : la baisse des taux de la banque centrale ne fait pas baisser les conditions de crédit, ce qui ne fait pas repartir le crédit et la croissance au niveau de la zone dans son ensemble.
La situation est-elle la même pour tous les pays d'Europe ? Lesquels sont les plus exposés actuellement ?
C'est en effet tout le problème : ce qui est vrai pour la zone euro dans son ensemble cache en fait deux situations opposées. En Allemagne et en France, la baisse des taux de la BCE fait effectivement baisser les taux bancaires, et le crédit aux PME peut repartir. Mais pas en Espagne et moins encore en Italie. Les taux y restent en effet élevés : il y a donc là un vrai credit crunch. Et ce sont les dettes des PME qui sont en première ligne.
Quels risques cette dette privée fait-elle courir à l'Europe ? Pourraient-ils faire passer ceux liés à la dette publique au second plan ?
Il faut être attentif et bien remarquer que l'article de The Economist attire l’attention sur une situation déjà bien connue  pour des raisons qui lui sont sans doute propres... Une situation que la BCE veut précisément traiter. C'est bien pourquoi Mario Draghi attire l'attention lui-même sur le sujet assez tôt, pour que les banques se préparent avant de passer le test de 2014 (Asset Quality Review), un test qui est annoncé comme "dur". Après, ces banques seront sous la surveillance directe de la BCE, autrement dit sous sa responsabilité. Donc c'est maintenant qu'il faut agir, en leur demandant de vérifier elles-mêmes la qualité de leurs crédits, quitte à en vendre à des opérateurs spécialisés, ce qui veut dire accepter une perte, quitte à vendre aussi des participations ou des filiales, quitte à augmenter leur capital. On comprend que cette augmentation impliquera une dilution des pouvoirs et que des banques italiennes, en particulier, y soient réticentes. Mais il n'y a pas d'autre solution. Ajoutons que les marchés vont également demander ce qui se passe dans les banques régionales allemandes. Ceci est sain. La tension monte donc, comme avant tout examen, et celui-ci aura des effets stratégiques sur le secteur bancaire européen.
Comment expliquer que rien n'ait été fait plus tôt pour restructurer les bad banks et autres prêts toxiques dont l'existence est avérée depuis plusieurs années ?
Il ne faut pas "en rajouter". Beaucoup a déjà été fait, en Grèce, Irlande, Espagne notamment. Là où les problèmes étaient les plus importants, et même très grave. Il y a encore des efforts à faire, et c'est pourquoi se déroule cet Asset Quality Review. C'est en réalité le tout début de l'union bancaire. Ceci est une énorme marche en avant dans l'intégration, avec la mise oeuvre de systèmes de protection plus importants pour les banques dans tous les pays de la zone et la création d'un "fond de soutien" en cas de crise. Après, le système bancaire européen sera le plus solide de tous et la confiance reviendra, pour financer la croissance. Mais, pour donner un exemple, avant de demander à de l'argent allemand pour participer au soutien d'une banque espagnole qui aurait des difficultés dans cinq ou dix ans, il faut s’assurer aujourd'hui de sa qualité, puis la suivre dans ces décisions. Il faut donc prendre aujourd'hui des précautions. C'est ce qui se fait.
Derrière ce problème de restructuration des dettes privées, la question de l'Union bancaire se profile assez rapidement. Quelles conditions doivent-être réunies sur le plan bancaire pour qu'elle puisse être menée à bien ?
Il ne s'agit pas de "restructurer des dettes privées" mais de vivre longtemps avec un niveau important de dette. C'est tout le problème, et la difficulté, car cette situation est sans équivalent historique. La zone euro surveille l'inflation et la valeur de l'euro, donc les dettes devront être remboursées... ce qui pèse sur la croissance... mais fait aussi de la zone un espace exemplaire. Les pays de la zone se sont trop endettés, il sont embarqués sur une phase longue d'assainissement, et s'ils sont sérieux, les marchés vont le comprendre, l'apprécier, et le permettre. La situation est donc délicate et complexe, tout le monde le sait. Mais dramatiser et critiquer à tout va n'aide pas : il faut être sérieux et passer à l'acte. Cet acte bancaire est aussi important que celui du passage à la monnaie unique.

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