vendredi 18 octobre 2013

« La France va à la rupture »

François de Closets :  ultime vers laquelle nous nous dirigeons pourrait être un mal nécessaire pour que le pays accepte de s’en remettre à un gouvernement de salut public

François de Closets, essayisteFrançois de Closets ne se lasse pas de jouer les Cassandre dans son dernier essai Maintenant ou jamais ! Il est persuadé que notre pays n’évitera pas la faillite. Comme en 1940 ou en 1958 ! Le détonateur viendra des créanciers de la France qui exigeront un jour prochain des taux d’intérêt plus élevés pour lui prêter de l’argent. Ce qui placera le pays illico en cessation de paiments et sous la coupe des gendarmes internationaux.
La situation sera alors tellement catastrophique que la classe politique – gauche et droite confondues – remettra les clés du pouvoir à un gouvernement de salut public composé de personnalités au-dessus des partis. Un scénario que François de Closets entrevoit sous un jour favorable. “Les Français ont besoin de voir que l’on peut faire de la politique autrement. Un gouvernement de salut public pourrait remettre le pays sur ses rails en deux ou trois ans”, parie-t-il. Une chance – la dernière ? – pour la France.
Le déclin de la France est une évidence. Dans les années 70, notre pays était le plus dynamique d’Europe et ses finances étaient solides. Aujourd’hui tous les indicateurs sont en alerte rouge : 2 000 milliards d’euros de dette, 80 milliards de déficit public, 70 milliards de déficit commercial. Mais ce déclin est assez confortable car tout se détériore année après année sans drame apparent. Le problème est qu’au bout de la pente, il y a
inéluctablement le précipice. C’est ce qu’on appelle en comptabilité l’échéance de la cessation de paiement. Or, ma conviction est que depuis deux ans nous sommes arrivés tout près de ce point de rupture. La France vit dans un colossal déni de réalité. Elle a donné congé à la comptabilité. Or quand on chasse le comptable, on se donne l’illusion de pouvoir tout faire, y compris de la cavalerie jusqu’au jour où la réalité finit par s’imposer parce que les déficits sont intolérables et qu’il faut resserrer les boulons.
Une économie de guerre
Le gouvernement augmente les impôts mais nie tant qu’il peut cette évidence en mettant en avant une “pause fiscale” à laquelle personne ne croit. Le résultat est une nouvelle perte de crédibilité de la parole politique. Il faudrait un discours de mobilisation. La France est menacée, toute autant que si elle était en guerre, puisqu’elle est menacée de faillite. Une faillite, c’est la désagrégation épouvantable d’une société et c’est cette perspective qui menace la France aujourd’hui. Il faut expliquer que le pays en grand danger, annoncer les efforts et indiquer comment ces mesures vont sauver le pays. Or aujourd’hui tout est fait pour cacher la réalité à la population. Au lieu du nécessaire discours churchillien, l’exécutif met en oeuvre la méthode Queuille selon laquelle il n’y a pas de problème qu’une absence de solution ne puisse résoudre. François Hollande emmène les Français à un pique-nique en leur disant de ne pas paniquer alors qu’ils se rendent en réalité sur un champ de bataille. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les Français rechignent devant les efforts. On voudrait redresser le pays sans que les Français s’en rendent compte, à l’image de cette soi-disant réforme des retraites. Ce n’est pas possible.
Le contre-exemple des retraites
La dernière réforme des retraites est le prototype de la réforme Hollande, dont le premier objectif est d’être annoncé et de ne provoquer aucun remous social. Cette fois, le Président a dit que parce qu’on vit beaucoup plus longtemps, il faut travailler un peu plus longtemps. Quelle révélation ! Et le comble est que ce truisme a fait figure d’événement.Habituellement, la simple annonce d’une réforme est suffisante pour faire descendre dans la rue des cortèges. Or cette fois-ci, rien de tel. Normal : il n’y a eu aucune réforme. Tout le monde sait que les problèmes ne sont pas résolus, et que les déficits abyssaux vont réapparaître dans deux ans. Mais le mal est fait car une fois de plus, les Français sont convaincus qu’ils peuvent s’en sortir sans fournir d’efforts. Cela me rappelle le sketch de Francis Blanche : “Pouvez-vous le faire ?”, “Oui, je peux le faire” “Il peut le faire, bravo !”.
L’étreinte des créanciers
Le problème financier de la France est un problème international, puisque deux tiers de notre dette sont détenus par l’étranger, et que c’est auprès des marchés internationaux que nous trouvons les 200 milliards dont nous avons besoin chaque année. A tout moment, nos créanciers internationaux peuvent – comme à tous les surendettés – nous imposer leur loi. Nous n’avons pas cessé de biaiser de toutes les façons possibles pour échapper aux contraintes que nous imposeront très normalement nos créanciers internationaux. Mais le jeu se resserre. Alors que François Hollande avait promis juré qu’il ramenèrait le déficit à 3 % du PIB, le chiffre dépasse les 4 % en violation avec les engagements de Maastricht et ceux du pacte budgétaire. Certes, la Commission européenne nous a accordé un délai de deux ans mais ce répit a été assorti de la demande expresse d’engager les réformes structurelles.
Et la Commission s’est montrée très précise par exemple sur les retraites en privilégiant la piste du rallongement de la vie active, de la révision des régimes spéciaux et des retraites de la fonction publique plutôt que l’augmentation des prélèvements. Or qu’avons-nous fait en retour ? Cette pseudo-réforme qui n’est pas à la hauteur. De même, nous apparaissons incapables de tenir nos engagements de stabiliser les dépenses publiques. Les impôts ont augmenté de 60 milliards d’euros mais le déficit n’a été réduit que de 20 milliards d’euros. Cherchez l’erreur.Nous mesurons notre effort non pas en valeurs absolues mais par rapport au résultat des tendances antérieures. Un peu comme si un obèse qui augmente son poids de 10 kilogrammes tous les ans annonçait avoir perdu 5 kg après n’avoir grossi que de 5 kg seulement.
L’idiote gestion des dépenses publiques
Pour restreindre la progression des dépenses ministérielles, l’Etat procède par compression générale aveugle des budgets. C’est de cette manière idiote que Nicolas Sarkozy avait décrété qu’un fonctionnaire sur deux ne serait pas remplacé dans toutes les administrations. Cette méthode ne permettra pas d’aller très loin. Car ce n’est pas 10 milliards d’économie qu’il faut faire une fois mais tous les ans pendant quatre à cinq années consécutives. Le rabotage n’y suffira pas. C’est toute l’organisation générale de notre secteur public qu’il faut revoir ; y compris les administrations territoriales et l’ensemble des agences publiques. Telle qu’elle est, l’administration publique au sens large coûte 370 milliards. C’est seulement si nous la changeons radicalement que nous pourrons ramener les dépenses à un niveau comparable aux autres Etats. Mais on n’en prend pas le chemin. François Hollande a renoncé à réformer le millefeuille territorial pour ne pas se mettre à dos sa clientèle électorale et les élus de son parti. Non seulement on ne supprimera pas les départements, mais au contraire, on en rajoute un niveau avec les métropoles !
De l’inéluctabilité de la crise
Ce qui est frappant, c’est l’incapacité absolue de ce pays de prévoir, de s’adapter, de se gouverner, parce que gouverner, c’est prévoir. Et il résulte de cette incapacité que ce pays va à la rupture. Dans les années 30, chacun voyait qu’on allait à la catastrophe. Eh bien on est allé à la catastrophe jusqu’au bout. Plus tard, sous la IVe République, tout le monde voyait que ce système était incapable de résoudre les problèmes coloniaux, de maîtriser les finances publiques…
Il a fallu que nous soyons au bord de la guerre civile en 1958 pour que le système s’effondre, et que l’on fasse autre chose…1940-1958 nous sommes dans le même schéma. Nous allons connaître une crise qui va provoquer l’effondrement de notre Ve République dans son stade actuel. Je n’imagine ni la date, ni les circonstances parce que je ne suis pas devin mais ce que je sais avec certitude c’est que nos créanciers nous feront savoir, un jour ou l’autre, qu’ils ne sont plus disposés à nous prêter de l’argent sans augmenter leur taux. Entre 1990 et 2006, la France a emprunté à un taux de l’ordre de 5 %. Or ce taux est tombé exceptionellement à 2,5 % depuis. Le simple relèvement des taux d’intérêt à leur niveau jugé normal sur longue période mettrait la France dans une situation impossible.
Deux points et demi de hausse de taux d’intérêt, c’est à terme un alourdissement de plus de 30 milliards de la charge de la dette. Nous serons au bord du gouffre. Incapable de se financer, la France subira alors inéluctablement le diktat de la communauté internationale et devra mettre en oeuvre un mémorandum de mesures douloureuses comme celui imposé par la Troïka à la Grèce et au Portugal.
La classe politique au pied du mur
A ce moment-là, je pense que ni la droite, ni la gauche ne se bousculeront pour appliquer ce programme. Tous les Français auront la peur au ventre de ne plus pouvoir retirer leur argent des banques ; les fonctionnaires seront menacés d’une brutale diminution de leur traitement ; et les retraités ne sauront pas si leur retraite sera versée. La situation sera alors vraiment dramatique.
A partir de là, je veux croire que la classe politique gouvernementale, constatant son impuissance et son incapacité à agir, se dira qu’elle ne peut plus gouverner directement. Et qu’elle usera de sa légitimité pour déléguer le pouvoir à une structure qui ne sera ni de gauche, ni de droite, ni du centre. Cette dévolution peut être, je crois, une chance – la dernière ? – pour la France. D’ou vient l’incapacité de la France à se gouverner ? Dans tous les pays démocratiques, il y a une majorité et une opposition qui alternent au pouvoir. Mais il n’y a qu’en France, où l’on a transformé ce fonctionnement démocratique en une sorte de guerre de religions et où deux camps s’affrontent de façon irréductible. Ainsi assiste-t-on à une guerre civile permanente dans laquelle la conquête du pouvoir l’emporte de très loin sur l’intérêt du pays. Comme l’avait déjà noté Raymond Aron, il y a 50 ans, la France est un pays hémiplégique dans lequel l’alternance consiste à faire passer la paralysie du côté gauche au côté droit, et réciproquement.
L’expérience italienne 
Comment imaginer que le PS et l’UMP s’entendent pour nommer un gouvernement apolitique ? Aujourd’hui, un tel accord à froid est, il est vrai, impossible. Une telle solution n’est envisageable que s’il y a un préalable. Et ce préalable, c’est la crise ultime ! Elle ouvrira la voie à un gouvernement de salut public apolitique, composé de personnalités ayant le soutien de la gauche et de la droite. Comme le gouvernement de Mario Monti en Italie. Certes cette expérience a tourné court assez vite après avoir remarquablement bien fonctionné dans un premier temps. Mais les Italiens ont au moins trois handicaps que nous n’avons pas. Le première c’est Berlusconi. Ils l’ont à l’intérieur de leur majorité alors que chez nous le Front national est en dehors. Dès que Mario Monti a commencé à obtenir des résultats, le parti de Berlusconi l’a flingué, c’était perdu d’avance. Ensuite, l’Italie a une Constitution débile tandis que nous avons une grande Constitution. Il y a en France un chef de l’Etat qui dispose d’un pouvoir très réel. Enfin, la classe politique française est malgré tout de meilleure qualité que la classe politique italienne qui est vraiment épouvantable.
Un gouvernement de salut public
Un tel gouvernement de salut public naîtra principalement de la peur – la peur de l’effondrement financier du pays, la peur du déferlement du Front national – car la peur est chez les hommes le commencement de la sagesse. Mais tant que nous ne sommes pas dans la situation de danger extrême que j’ai décrite, ce type de scénario n’apparaît pas crédible. Nous ne sommes pas capables – nous ne voulons pas penser – une France qui serait dans la situation où s’est retrouvée la Grèce, et dans une situation pire que celle dans laquelle se trouve le Portugal ou l’Espagne, parce que le peuple français est beaucoup plus difficile à gouverner que le peuple espagnol ou le peuple portugais. Mais il faut penser à cette situation. Il faut la penser maintenant, parce que quand cela arrivera, les événements se précipiteront. Et la période sera d’une telle intensité que des évolutions, inimaginables aujourd’hui, deviendront possibles.
Les Francais tomberont certes de très haut. Mais cela peut ouvrir la voie au sursaut puisque le gouvernement sera composé de personnalités qui n’auront pas à se soucier d’être réélus et qui ne penseront qu’à l’intérêt du pays. Les Français ont besoin de cette leçon de civisme et de voir que l’on peut faire de la politique autrement. Un gouvernement de salut public peut remettre le pays sur ses rails en deux ou trois ans. Une austérité crédible et intelligente, qui évidemment ne ferait pas porter l’effort sur les dépenses d’avenir, qui saurait mettre l’argent là où il faut et desserrer les contraintes et qui n’hésiterait pas à frapper plus durement la rente est la seule voie possible pour restaurer la confiance et recréer la croissance.
La responsabilité des économistes
Je pourrais citer des milliers de pages d’économistes expliquant que les dettes de l’Etat ne sont pas un problème, que de toute façon, on ne les paie pas, qu’il faut miser sur une politique budgétaire dynamique pour renforcer. Ce qui m’est particulièrement insupportable, c’est de voir ces mêmes économistes, qui ont été les apôtres du surendettement, venir aujourd’hui dénoncer les risques de l’austérité, laquelle austérité est évidemment la conséquence du surendettement. C’est-à-dire que ce sont les incendiaires qui viennent faire la leçon aux pompiers accusés de provoquer des dégâts des eaux en éteignant les feux.
Quelle impudence ! Et le pire est qu’ils continuent à faire croire aux Français que nous vivons une austérité terrible, alors que les dépenses n’ont pas encore diminué et qu’il faudrait faire une relance, alors que la France est à 4 % – le montant de nos déficits récurrents – de relance, c’est-à-dire que la France est dans une relance deux fois plus forte qu’en 1981. C’est dire à quel point aujourd’hui, l’économie est une science pervertie qui conduit le pays au gouffre.

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