mardi 26 novembre 2013

Pourquoi il faudrait pousser la remise à plat fiscale jusqu’à une réforme profonde des dépenses publiques… comme l’ont fait tous les pays qui ont réussi à refonder leurs impôts

Atlantico : Lundi 25 novembre, le Premier ministre a donné le coup d'envoi de sa grande réforme fiscale pour "remettre à plat" le système français. Il y a peu de chances cependant pour que cette discussion aboutisse sur une vraie réforme de la dépense publique. Une réforme fiscale peut-elle apporter un vrai plus sans repenser les dépenses publiques, ou cela ne peut-il être que des changements de surface ?

Jean-Yves Archer : Remettre à plat le système fiscal suppose de le simplifier et de le rendre plus lisible au citoyen qui sera ainsi mis en situation de mieux accepter le haut niveau de prélèvements obligatoires dont nous savons qu'il va durer compte-tenu des déficits budgétaires (82,2 milliards cette année) et du niveau total d'endettement du pays.
Or, pardonnez le raisonnement trivial mais authentiquement exact : si nous dépensions moins, nous aurions moins à collecter. Cette évidence n'est apparue qu'à la marge de la pensée des décideurs publics. Prenons un exemple incontestable : nous venons tous de consentir un effort fiscal exceptionnel (dernière Loi de finances Fillon et PLF 2013 et 2014 du gouvernement Ayrault) d'environ 65 milliards. Tout le monde l'a compris et ressenti au point que le ministre Moscovici a cru pertinent de devoir lui-même évoquer le " ras-le-bol " fiscal des Français. Malgré cet effort triennal, le déficit affiché du budget ( 82,2 milliards ) représente – pour une seule année - un peu plus de 126% de l'effort précité. Question de base : comment voulez-vous que cela soit durable et soutenable pour prendre le terme en vogue ? Si nous étions au niveau de la Suède avec environ 51% de PIB en dépenses publiques contre 57%, nous aurions réalisé plus de 50 milliards d'économies sur un total de dépenses qui représente tout de même plus de 300 milliards d'euros.
Ceci étant précisé, vous avez totalement raison de vous interroger sur le lien entre réforme fiscale et freinage de la
dépense publique. Les propos tenus par les grands leaders syndicaux, à l'issue de leur rencontre de lundi avec le Premier ministre, démontrent que ce lien, qui doit être fait pour la survie des agents économiques de notre pays, n'est pas à l'agenda des responsables d’État. Là où Raymond Barre ou plus loin dans le temps Pierre Mendès-France avaient su poser un diagnostic clair et agir, notre époque est marquée par l'hystérésis qui atteint le politique, par son retard à l'allumage face à l'ampleur de la question. Il faut tout de même comprendre que les saisons de 2014 verront défiler des jours avec ou sans soleil (incertitude) alors que chaque journée verra augmenter notre dette puisque nous peinons à rembourser les seuls intérêts et que le "stock" va s'alourdir pour dépasser les 95% de PIB d'ici deux ans.
Au plan technique, chacun a compris depuis l'exemple emblématique de l'écotaxe poids lourds que le recouvrement de l'impôt génère des coûts. La réforme Ayrault peut faciliter certaines collectes d'impôts en simplifiant les tuyaux, cette sorte de raffinerie pétrolière, que représente notre édifice fiscal. Ainsi, sous réserve d'arbitrages politiques à effectuer, une fusion entre l'impôt sur le revenu et une CSG devenue progressive pourrait simplifier les choses. Notons que personne n'évoque la CRDS alors que son inscription dans le temps ne cesse de s'allonger...
Mais, pour se livrer à une estimation, le gain d'une éventuelle simplification fiscale (avec redéploiement des agents de Bercy vers la lutte contre la fraude en lieu et place de leur travail actuel de supervision de la collecte) ne saurait excéder 5 milliards (3,5 étant une de nos hypothèses basses) soit un dixième de ce qu'il faudrait pour revenir dans le concert des nations européennes concurrentes. Engager de manière fort sonore une réforme qui ne peut qu'aboutir à un gain loin des enjeux est un risque politique et aussi un défi face à l'histoire financière de notre pays qui aura un jour un doigt accusateur face à certains comportements. Au stade d'urgence où nous en sommes – suite à tous types de politiques conduites depuis plus de 30 ans – il est tout de même troublant qu'il y ait eu une conférence sociale (dès juillet 2012), le rapport Gallois (quasiment inappliqué), les pourparlers actuels sur le réforme fiscale et rien de construit collectivement sur la dépense publique. Tout le monde en parle de manière éparse mais un vrai plan d'action se fait attendre tout comme les résultats de la MAP : modernisation de l'action publique.
Thomas Brand : On ne peut pas réformer l'ensemble des finances publiques (volet recettes et volet dépenses) en même temps, mais il est important d'insister sur les liens nécessaires à établir entre les deux volets. Je prends un exemple. Nous avons aujourd'hui pour simplifier deux types de prélèvements obligatoires, les impôts (de type impôt sur le revenu) et les cotisations (de type cotisation retraite). Le problème aujourd'hui tient au fait que les cotisations sociales ne sont plus considérées comme un "salaire différé" par les Français car le système est beaucoup trop complexe pour faire le lien entre nos cotisations et ce que nous touchons pendant notre retraite ou notre maladie. Un principe de réforme devrait être d'assumer que certains prélèvements, comme les cotisations sociales, n'ont pas comme objectif la redistribution mais la contribution. Cela ne veut pas dire pour autant que la logique de solidarité doive passer à la trappe, mais il faut laisser cet objectif à d'autres instruments qui sont beaucoup plus efficaces pour cela, tel l'impôt sur le revenu.
Gérard Thoris :  Les programmes de dépenses publiques des gouvernements successifs de la France n’ont jamais réussi à stimuler assez l’économie pour que le budget retrouve l’équilibre. Pour prendre un exemple emblématique, nous nous sommes vantés de l’efficacité de notre programme de stimulation de la consommation d’automobiles jusqu’au moment où tous les indicateurs ont montré qu’on avait seulement déplacé la demande dans le temps. Si la politique de stimulation de la demande avait fonctionné, elle aurait produit assez d’activité pour que le déficit budgétaire ne soit pas un problème. Mais, a contrario des États-Unis, la politique de déficit budgétaire à jet continu depuis le premier choc pétrolier n’a jamais permis de renouveler l’offre pour la faire correspondre aux besoins nouveaux des consommateurs. Malgré le génie français, nos pépites s’envolent dès qu’elles commencent à briller et ce devrait être un signe qu’elles trouvent facilement à s’héberger aux États-Unis !
Si, maintenant, l’on cherche ce qu’il faudrait faire pour stimuler la croissance, il suffit de lire le nième rapport qui dit pour la nième fois la même chose, quels qu’en soient les auteurs pour autant que leurs convictions économiques l’emportent sur leurs ambitions politiques. Le dernier en date est signé de l’OCDE et il date du 14 novembre dernier. Pour ceux qu’une étude moins partisane intéresse, ils peuvent consulter les travaux de l’Institut Thomas More. En comparant la France et l’Allemagne, ils estiment que si nous avions l’efficacité de ce dernier pays pour la délivrance des services publics, nous pourrions sans difficulté économiser 8,6% du PIB ! C’est tellement un rêve que cette étude, pourtant bien documentée, n’a pratiquement pas reçu d’écho en France.

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