mercredi 16 avril 2014

SMIC, chômeurs de longue durée et travailleurs pauvres : l’histoire d’une crispation idéologique française qui se retourne contre ceux qu’elle est censée aider

Pierre Gattaz, le président du Medef estime que la création d'un "SMIC intermédiaire" à titre temporaire serait un bon moyen pour qu'un "jeune ou quelqu'un qui ne trouve pas de travail puisse rentrer dans l'entreprise de façon transitoire avec un salaire adapté, qui ne serait pas forcément le salaire du Smic".


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Atlantico : Le président du Medef estime que la création d'un "SMIC intermédiaire" à titre temporaire, qui permettrait pour "des publics éloignés de l’emploi" de sortir du chômage. En quoi le niveau actuel du SMIC est-il un frein à l'emploi ?

Jean-Charles Simon : Le Smic français est en effet  plus élevé qu’ailleurs. La grande coalition allemande vient ainsi d’accoucher d’un salaire minimum qui est plus de 10 % inférieur à notre Smic. L’écart est d’environ 18% avec le Royaume-Uni, qui prévoit en plus des niveaux décotés pour les plus jeunes. Et ne parlons même pas des Etats-Unis, où les Etats les plus volontaristes annoncent, dans le sillage des demandes de revalorisation du Président Obama, un salaire minimum qui serait porté à près de 80% de notre Smic actuel… en 2017.
Les politiques allègements de charges essaient depuis 20 ans de contrebalancer ce minimum plus élevé que chez nos partenaires. C’est presque de la schizophrénie, et c’était notamment vrai dans les années de la mise en place des 35 heures : revalorisations massives du salaire horaire minimum et baisse également massive de charges au niveau du Smic… 20 ans de politiques allègements qui se trouvent largement renforcées avec le CICE et maintenant les baisses annoncées dans le cadre du "pacte de responsabilité".
Pour autant, le Smic est-il le principal problème de l’économie française ou l’explication première du sous-emploi dans
notre pays ? Je ne le crois pas. L’ensemble des rigidités du marché du travail et le coût prohibitif de la protection sociale obligatoire au sens large sont des enjeux beaucoup plus importants.

Quelles populations pourraient être concernées par une telle mesure ?

Ce sont a priori les moins qualifiés, et les plus jeunes, s’il y avait comme dans d’autres pays une forme de dérogation au Smic les concernant. Ce qu’on retrouve tout de même déjà via l’apprentissage et les stages. Je comprends bien les arguments de ceux qui mettent en avant le chômage élevé à ces niveaux de rémunération ou à l’entrée sur le marché du travail. Mais j’observe que la politique ciblée sur les bas salaires menée depuis longtemps n’a rien donné de probant dans notre pays.
Il me semble que l’économie française court surtout le risque de se spécialiser sur les activités à bas salaires. Dès que l’on est à des niveaux un peu plus éloignés du Smic, les charges atteignent des niveaux inconnus ailleurs. Ces activités plus qualifiées semblent donc s’évaporer peu à peu, soit parce que les entreprises ne peuvent être très compétitives dans ces secteurs, soit parce que les salariés concernés vont voir ailleurs. Tout se passe comme si on exerçait un transfert de richesses des entreprises à main-d’œuvre qualifiée vers les autres. Cela se retrouve sur toute la distribution des salaires, avec un minimum plutôt "élevé" mais moins de salariés bien payés. En 2012, une étude faisait ainsi état d'un salaire médian 40 % plus élevé en Allemagne qu’en France, un écart qui perdurait au huitième décile (premier niveau de salaire des 20% les mieux rémunérés).

Faut-il envisager, comme le suggérait Pascal Lamy la création de "petits boulots", payés en dessous du Smic à l'image de ce qui se fait en Allemagne ?

Cela peut aider à réduire le sous-emploi. Mais je pense que la persistance de celui-ci, y compris à un niveau assez élevé même quand l’économie est au mieux, montre qu’il y a d’autres difficultés. Tout ce qui est de l’ordre de la régulation compte à mon sens bien davantage. C’est vrai du licenciement, des contraintes à l’embauche, du cadre des CDD ou encore de celui du temps partiel. A ce titre, vouloir quasiment interdire les temps partiels de moins de 24 heures est tellement aberrant qu’il a fallu y surseoir, dans une certaine insécurité juridique. Or, plus que des salaires très bas, les formules qui ont le mieux réussi autour de nous sont les contrats apportant une très grande flexibilité au marché du travail, en termes de durée ou encore de cadre juridique. Ce qui est susceptible d’éviter à la fois le travail au noir ou le renoncement à l’embauche. C'est bien sûr difficile à vivre pour les premiers concernés, mais leur alternative en France est d’abord le chômage, et souvent de longue durée.

En France, un jeune sur quatre est au chômage avec 26,5% des moins de 25 ans sans emploi. Au-delà du contexte de crise, la grille des salaires française, fortement concentrée vers le bas, n'incite pas forcément les entreprises à embaucher des salariés débutants. Dans ces conditions, la mise en place d'un "Smic jeunes", bien que politiquement incorrect, peut-elle être une solution efficace au chômage des jeunes ? En quoi ?

Il faut toujours remettre en perspective les données sur le chômage des moins de 25 ans, surtout dans un pays et à une époque où ils sont très majoritairement en formation initiale. Les données de demandeurs d’emploi portent ainsi sur des effectifs assez faibles. Néanmoins, il est vrai que l’insertion des jeunes dans l’emploi reste plutôt difficile en France, avec une situation naturellement encore plus aiguë en période de crise. Les plus jeunes ont des difficultés à avoir un premier emploi et plus encore un premier emploi stable. Dès lors, tout ce qui peut faciliter leur embauche serait bienvenu, qu’il s’agisse d’alléger le coût du travail ou d’assouplir son cadre juridique.
 

Peut-on par ailleurs y voir une justification économique, en tout cas, une logique ?

Oui, bien sûr. En théorie économique, l’existence d’un Smic vient contrarier la fixation normale d’un "prix" sur le marché du travail, puisqu’il ne permet pas de fixer celui-ci exclusivement sur la base d’une rencontre offre/demande. Dès lors, cette distorsion peut conduire à un coût trop élevé du travail pour les activités concernées, et donc les affaiblir ou diminuer l’emploi dans ces secteurs. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on cherche à corriger ces effets, par exemple avec des allègements sur les charges sociales pour les bas salaires. S’agissant des plus jeunes, l’argumentaire est bien connu : les employeurs ne sont pas disposés à les rémunérer au même niveau que leurs aînés puisqu’ils n’ont pas encore d’expérience, qu’ils doivent être en moyenne plus encadrés, etc. Leur niveau d’emploi est donc encore plus affecté que pour les autres tranches d’âge par l’existence d’un Smic. D’où la proposition d’un salaire minimum plus bas pour les plus jeunes.
 

Le "Smic jeunes" ou d'autres types de modération salariale en début de carrière existent-il dans d'autres pays européens ? Lesquels ?  Et avec quels résultats ?

Oui… sous réserve que le principe d’un salaire minimal existe, ce qui n’est pas le cas dans toute l’Union européenne. Ainsi, quand Tony Blair a instauré un salaire minimum au Royaume-Uni, un dispositif pour les plus jeunes a été mis en place. Aujourd’hui, il y a au Royaume-Uni plusieurs niveaux de salaire minimum pour les plus jeunes (moins de 18 ans, entre 18 et 21 ans) et le statut d’apprenti. On trouve aussi un salaire minimum "jeunes" aux Pays-Bas, par exemple. Et il ne faut pas oublier que nous avons aussi des dérogations au Smic en France pour les mineurs, les stages et l’apprentissage.
 
Les effets d’un "Smic jeunes" ne sont pas aisés à mettre en évidence, car il y a bien sûr de nombreux autres déterminants de l’emploi des jeunes, par exemple l'efficacité de l’articulation formation / emploi, notamment avec l’apprentissage. Et tout simplement, l’efficacité globale du marché du travail, quel que soit l’âge. Mais toutes choses égales par ailleurs, abaisser davantage la rémunération minimale obligatoire pour les plus jeunes ne peut que favoriser leur niveau d’emploi.  
 
 

Quelles pourraient être en France les modalités d'application d'un Smic jeune ? Peut-on imaginer des contreparties pour les jeunes ? Lesquelles ? 

Le modèle qui paraît le plus adapté est une décote du Smic jusqu’à un certain âge, pas trop élevé pour éviter des effets trop importants de pure substitution sur le marché du travail. Sauf à ruiner l'efficacité d'un tel dispositif, il est en revanche difficile d'imaginer des contreparties qui seraient à la charge des employeurs. Reste l'accompagnement social qui pourrait être renforcé, par exemple en matière de logement, un sujet majeur pour les jeunes ayant des emplois faiblement rémunérés et vivant hors environnement familial. C'était d'ailleurs un sujet envisagé au moment du CPE.
 

On se souvient des manifestations d'étudiants qui avaient obligé le gouvernement Villepin a reculer sur le Contrat première embauche (CPE). Un "Smic jeunes" serait-il socialement acceptable ? 

Vous évoquez le CPE, qui portait d’abord sur le cadre juridique pour inciter les entreprises à embaucher en facilitant la rupture dans une période initiale. Mais on pourrait rappeler le Contrat d'insertion professionnelle (CIP) du gouvernement Balladur, qui prévoyait explicitement un "Smic jeunes"… Les deux initiatives ayant tourné au même cauchemar pour leurs initiateurs. Disons-le : l’opposition à un "Smic jeunes" dépasse la rationalité économique, et s’explique beaucoup par l’activisme des organisations étudiantes et les récupérations qui l’accompagnent – parfois au sein même de la majorité concernée… Pour que les conditions de sa mise en oeuvre soient réunies, il faudrait faire comprendre que le "Smic jeunes" ne tirerait pas les rémunérations pratiquées vers le bas mais augmenterait le nombre d’emplois chez les jeunesEt qu’il réduirait sûrement les pratiques d’évitement du Smic et de la rigidité du droit du travail dont les jeunes peuvent faire les frais, par exemple avec les stages à répétition.
 
 

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