vendredi 9 mai 2014

Poutine, la Russie et les médias français : le coup de gueule de Vladimir Fédorovski

FIGAROVOX/ENTRETIEN- Des dizaines de séparatistes ont péri dans un incendie à Odessa provoqué par des nationalistes ukrainiens, ce qui n'a pas beaucoup ému les médias français. Vladimir Fédorovski, écrivain russe qui ne porte pas Poutine dans son coeur, y voit le signe d'une russophobie médiatique.
Vladimir Fédorovski est un écrivain russe d'origine ukrainienne, actuellement le plus édité en France. Diplomate, il a joué un rôle actif dans la chute du communisme, il fut promoteur de la perestroika puis porte-parole d'un des premiers partis démocratiques russes. Il a écrit de nombreux ouvrages sur la Russie mythique, et dernièrement un essai sur Poutine intituléPoutine, l'itinéraire secret, (Editions du Rocher, 2014). Il présente actuellement en France un spectacle de théatre total intitulé Les mystères de Saint -Petersbourg .

Le 2 mai dernier, des dizaines de pro-russes ont péri dans un incendie à Odessa, allumé au choix par de «jeunes supporters de foot» ou par des nationalistes ukrainiens de Pravy sektor. La
télévision allemande a mené un travail d'enquête qui a révélé que certains snipers de Maïdan provenaient du camp anti-russe. Ces deux informations ont été très peu relayées en France. Pourquoi ce deux poids-deux mesures? Y-a-t-il selon vous un tropisme anti-russe dans les milieux médiatiques français?
La guerre en Ukraine est triple: par les armes, par la propagande et par les services secrets. Dans cette triple guerre les journalistes occidentaux sont instrumentalisés. Même à la fin du communisme, période que je connais très bien, les journalistes étaient plus prudents, et les informations fausses ou non vérifiées finissaient par être démasquées -on se souvient de l'affaire des charniers de Timișoara. Aujourd'hui, c'est pire que du deux poids-deux mesures, je suis ahuri par le manque de professionnalisme des journalistes, notamment français. Les journalistes allemands et américains sont plus pointus, les Français, sont souvent politiquement correct et voient le monde en noir et blanc.
Or, comme l'a dit Hubert Védrine dans vos colonnes, «la haine ne fait pas une politique». La présentation unilatérale du massacre d'Odessa, imputé à la responsabilité russe, alors ce sont des russophones qui ont été brulés vifs, est à cet égard significative. Les journalistes ont donné les réponses avant de poser les questions, concluant à la culpabilité russe.
Il y a une propagande exagérée du côté russe aussi, évidement. Mais cela peut se comprendre: les journalistes russes vivent sous un régime autoritaire et n'ont pas vraiment le choix. Mais en Occident, la propagande est le triomphe du politiquement correct qui prime sur l'analyse.
Comment expliquer cette diabolisation de Poutine dans certains médias occidentaux?


On ne peut m'accuser d'être complaisant avec Poutine. Je n'ai pas attendu la crise ukrainienne pour le critiquer. Mais je suis effaré par la diabolisation qui en est faite. Quand Mme Clinton compare Vladimir Poutine à Hitler, c'est effrayant de bêtise.
Poutine défend les valeurs traditionnelles face à un Occident qui selon lui se serait «dégonflé» face à l'islamisme (pour lui l'islamisme modéré n'existe pas plus que le communisme modéré) et aurait abandonné le combat idéologique. Il se présente comme le rempart au déclin de l'Occident face à l'islam. Il incarne l'antithèse de la gauche caviar, c'est pourquoi l'élite médiatique le déteste.
Cette russophobie témoigne-t-elle d'une «arrogance occidentale» à l'égard des Russes, jugés comme des barbares soumis au despotisme oriental?
Cette russophobie de la presse est inversement proportionnelle à celle du public. Je suis bien placé pour le savoir: la Russie mythique, qui est mon fonds de commerce, a un succès fou en France. Je vends le mythe russe dans mes livres et mes spectacles, et les Français en redemandent, surtout en ce moment! Ce décalage entre la presse et l'opinion publique est dangereux, il alimente les fantasmes et la mythification de Poutine.
Les journalistes occidentaux ont tendance à confondre Poutine et la Russie éternelle. Mais je veux les rassurer: Poutine et Hollande passeront, la France et la Russie resteront.
Je mets en garde les journalistes occidentaux: à jouer le jeu- sans en être conscients sans doute- de certains services secrets, ils se font les boutefeux du conflit. Ils entretiennent un climat de guerre civile en Ukraine, qui pourrait conduire à un grand conflit généralisé. Je dis souvent pour faire peur que l'Ukraine pourrait être le Sarajevo de 2014. C'est possible.


Pensez-vous que l'attitude des Occidentaux pousse à la scission de l'Ukraine? Celle-ci vous parait-elle le seul moyen de sortir de la crise?
La sortie de crise se fera je l'espère le 6 juin prochain en Normandie, lorsque Poutine viendra en France à l'occasion de la commémoration du Débarquement. De l'autre côté, il faudrait trouver un Mandela ukrainien qui accepte d'aller au-delà du sentiment de revanche et trouve la voie du dialogue et du compromis.
Je suis contre la scission de l'Ukraine, ce serait le triomphe de l'idiotie diplomatique. Les Européens, les Russes et les Ukrainiens ont des intérêts communs.
Les Américains ont essayé d'humilier la Russie, c'était la stratégie de Brzeziński (conseiller de Carter), après la chute du communisme. Or quand vous humiliez un pays, il faut s'attendre à ce qu'il y ait un esprit de revanche et un retour de bâton autoritaire. C'est ce qui est arrivé avec l'Allemagne après le Traité de Versailles. C'est l'humiliation de la Russie dans la période post-communiste qui a conduit Poutine au pouvoir et qui guide sa politique aujourd'hui.
Depuis un ou deux ans, les Américains renouent avec cette ambition: il faut descendre Poutine. Ils veulent casser l'axe Russo-allemand naissant, notamment par le Traité transatlantique. En faisant cela, ils repoussent la Russie vers la Chine, ce qui est catastrophique pour tout le monde.
Poutine a gagné la Crimée et perdu l'Ukraine. L'Occident va gagner l'Ukraine mais perdre la Russie. Tout le monde est perdant.

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