vendredi 13 février 2015

La citoyenneté se réinvente en kabylie : Leçon de gouvernance à Iguersafène

Dans quelques jours je proposerai un module de formation au "Benchmarking". Qui a envie d'aller apprendre dans ce village ce qu'est une bonne pratique ?


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le 07.02.15 | 10h00 
 
 Le comité de village fonctionne comme une direction d’une collectivité locale, mais avec le dévouement et le sens de l’entreprise à la place de la bureaucratie et de l’inertie. Les villageois ont décidé de prendre leur destin en main après s’être longtemps heurtés à la sourde oreille des autorités.
Le comité de village fonctionne comme une direction d’une...

La route est bien tracée, avec des ralentisseurs qui s’illuminent la nuit. C’est pourtant un chemin communal, à quelques encablures de la célèbre forêt de l’Akfadou qui abrita le PC du légendaire colonel Amirouche pendant la guerre de Libération nationale. La qualité de l’aménagement de la voie qui s’offre à nos yeux est introuvable sur les routes nationales et à l’entrée des grandes agglomérations de la région.

Nous sommes à 70 km à l’extrême est de Tizi Ouzou, à 1000 mètres d’altitude, dans la commune d’Idjeur (daïra de Bouzeguène), à la limite de la wilaya de Béjaïa. « Mis à part le goudron, tout ce que vous verrez dans notre village, nous l’avons réalisé nous-mêmes», dit un jeune qui nous souhaite la bienvenue à Iguersafène. «Mrahva yiswen !» lance-t-il, une civilité qui frappe les visiteurs venus tout droit des villes, habitués aux injonctions policières à l’entrée des chefs-lieux où l’on est simplement invité à serrer à droite et à ouvrir la malle de la voiture sous prétexte que le détecteur d’explosifs a «parlé».
Dans ce village de montagne, les dernières explosions ont eu lieu le 4 décembre 1957. L’aviation coloniale détruisait le village après que des dizaines de ses habitants aient rejoint collectivement le maquis. Il fut reconstruit à l’indépendance par ses enfants, qui commencèrent par aménager le carré des martyrs.
Avant d’entrer à Iguersafène, nous avions tenté de rencontrer le maire de la localité au siège de l’APC. Il était
absent, en formation à Alger, apprend-on. Nous verrons que pour recevoir des leçons de gouvernance locale, il suffit de se rendre dans le village d’à côté et en être imprégné davantage que lors des stages bloqués encadrés par le ministère de l’Intérieur.
D’un tas de cendres et de ruines à l’indépendance, Iguersafène a atteint aujourd’hui un niveau d’organisation et de vie communautaire où toutes les tâches sont réparties dans l’ordre et les travaux menés dans les délais, sans recours à la logistique étatique et aux financements publics. Iguersafène s’est retrouvé sous les projecteurs en octobre dernier, en remportant le premier prix du concours du village le plus propre organisé par l’APW de Tizi Ouzou.
Compostage et tri sélectif
L’administration publique en a rêvé, le village l’a fait. Le tri sélectif des déchets a été lancé à Iguersafène. Des bacs à ordures réservés au plastique et au papier sont disposés dans tous les quartiers. Un camion, acquis avec les moyens du village qui rémunère aussi le chauffeur, passe tous les matins pour vider les bacs avant de se diriger vers le centre de tri. Car il y a un centre de tri au village, aménagé et clôturé sur un espace pris dans le domaine forestier, avec l’accord tacite de la direction de tutelle.
L’opération d’hygiène au village est pilotée par une association de protection de l’environnement, dénommée Alma Vert, qui prend conseil auprès de villageois universitaires spécialisés dans le secteur. Un système de compostage est mis en place pour traiter les déchets biodégradables. Une dizaine de bacs de compostage, des silos en bois d’un mètre cube, sont disposés dans tous les quartiers du village. Le processus est expliqué à tous les villageois, les femmes en premier, véritables chevilles ouvrières de cette expérience unique dans la région.
Le compost est recueilli au bout de six mois et utilisé comme engrais pour enrichir les lopins de terre des villageois. Ce sont les matières plastiques et les papiers qui prennent le chemin du centre de tri, où les membres de l’association et des volontaires préparent d’énormes paquets qui seront proposés aux artisans de la récupération. «Il y a un recycleur qui vient récupérer les plastiques, mais pas encore s’agissant du papier. Nous continuons de prospecter», nous dit un membre de l’association.
Celle-ci récolte l’argent de la vente de ces matières et en fait bon usage. «Nous avons acheté pour 25 millions de centimes des centaines d’arbustes que nous avons plantés à travers le village et en bordure de la route», souligne le jeune animateur de l’association de l’environnement, qui cite également le lancement d’une pépinière pour cultiver des plantes et des arbrisseaux au profit des villageois.
La préoccupation de l’association, ce sont les sachets en plastique, omniprésents et non intégrables dans le système de tri pour le recyclage. «Nous prévoyons la suppression des sachets en plastique en dotant tous les ménages de paniers non jetables, frappés du sigle de l’association.Une sorte de retour au couffin d’antan», ajoute le membre de l’association Alma Vert, qui finit par s’excuser de ne donner plus d’informations, expliquant que l’organisation interne prévoit des structures et des personnes chargées de communiquer et de parler au nom du village.
Nous étions déjà motivés de rencontrer ces simples citoyens qui ont réussi à établir dans le village l’autorité et l’ordre par la seule force du respect et de la solidarité. «Nous sommes en majorité des entrepreneurs», dit d’emblée le président du comité de village, Ali Bakour, à peine la quarantaine, mais pleinement habité par la mission des tamens, les sages du village. Les membres de ce comité passent de leurs chantiers particuliers à ceux du village avec une disponibilité et un engagement qui sont sans doute la clé du succès à Iguersafène. «Notre village compte 4500 habitants, dont 1400 participent aux assemblées générales.
Nous employons quatre ouvriers à temps plein et nous travaillons en collaboration avec deux associations du village, l’une de l’environnement et l’autre de la culture. Les habitants ne paient pas de cotisation, mais tout le monde participe aux travaux. On dénombre 20 camions et sept engins de travaux publics que leurs propriétaires mettent à la disposition du comité de village quand la nécessité l’exige. Si le revêtement de la route a été effectué dans un projet public, c’est parce que le village ne dispose pas d’un finisher (engin de bitumage)», affirme le président du comité.
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Un tableau des cotisations en euros est affiché dans le bureau de l’instance villageoise. Cette disposition dans le règlement du village est applicable à la communauté émigrée et aux retraités de France. Entre 1,25 et 5 euros par mois, selon les revenus. Les résidents à l’étranger cotisent dès lors qu’ils ne participent pas aux travaux dans le village. Ils s’acquittent de leur contribution auprès des trois comités constitués à l’étranger, à Paris, à Marseille et au Canada.
Eau de source dans les robinets
Le comité du village fonctionne comme une direction d’une collectivité locale, mais avec le dévouement et le sens de l’entreprise à la place de la bureaucratie et de l’inertie. Les villageois ont décidé de prendre leur destin en main après s’être longtemps heurtés à la sourde oreille des autorités. «Nous avons décidé, il y a deux ans, de prendre en charge nous-mêmes le ramassage et le traitement des ordures après avoir tenu une trentaine de réunions avec les autorités locales. C’était sans issue. On était dans une situation où l’on devait continuer à vivre dans l’insalubrité ou engager une action de notre propre initiative.
Nous avons alors pris les choses en main», explique le président du comité. Il poursuit : «J’ai été convié aux états-généraux de l’environnement (réunions organisées par la wilaya ayant abouti à des recommandations sans lendemain, ndlr). Alors que tous les participants chargeaient les citoyens, accusés d’incivisme et autres maux, je suis intervenu pour dire que les citoyens sont bien éduqués et ne manquent pas de civisme, mais c’est à leurs représentants et aux responsables à tous les niveaux de commencer par donner l’exemple et montrer la voie. Sans un signal fort de l’autorité, la communauté ne suit pas.»
Les résultats ne se sont pas fait attendre et ne s’arrêtent pas à l’hygiène dans le village. Le comité rémunère un employé chargé du réseau d’AEP, entièrement réalisé et géré par le village. L’eau de source provenant du massif de l’Akfadou arrive dans les robinets par simple gravitation, en raison et grâce au relief montagneux, au moment où cela constitue le prétexte-phare des autorités quand elles échouent dans la viabilisation des territoires. Des compteurs d’eau sont installés dans toutes les maisons, mais il n’y a pas de facture.
Seule une contribution symbolique de 25 DA par mois et par foyer constitue l’abonnement au réseau d’AEP du village. La consommation de l’eau est libre tout au long de l’année, mais un plafond est fixé entre juin et octobre, soit 80 litres par jour et par personne ; le surplus est taxé à 0,50 DA le litre. De modestes tarifs fixés depuis longtemps et qui vont dans la caisse du village. Le réseau d’alimentation en eau potable a été refait en PEHD par les villageois il y a cinq ans. L’eau est acheminée à partir d’une dizaine de sources en montagne, sur 6 km de canalisations.
Les sources sont captées et entretenues par les soins du village. Avant la dernière rénovation du réseau, c’est encore le village qui avait réalisé la première opération d’adduction d’eau depuis la montagne, avec des conduites en acier galvanisé. Ce fut, en 1992, un énorme chantier qui a tenu en haleine le village pendant de longs mois de travaux collectifs et ininterrompus, du captage des sources et l’adduction à travers des terrains forestiers et accidentés jusqu’à la distribution dans le village et la pose des compteurs dans chaque foyer.
Un projet 100% villageois, qui a coûté à cette époque plus de 1,7 milliard de centimes. La communauté émigrée avait été d’un grand apport, comme à chaque grande opération engagée dans le village. Un autre projet de captage de quatre nouvelles sources est engagé pour parer à la baisse du débit en été ; trois kilomètres de canalisations ont été déjà réalisés sur les quatre prévus.
Village aux 99 martyrs
Le comité de village assure, en son bureau, des permanences tous les soirs à partir de 18h, le même concept que les permanences parlementaires à la différence qu’à Iguersafène, elles sont tenues. Les requêtes des villageois sont expressément inscrites dans un registre prosaïquement appelé «Journal des problèmes». On y trouve des demandes de raccordement au réseau d’AEP et même, ce qui est commun à tous les villages, quelques litiges de voisinage. En marge des requêtes, une colonne est réservée aux observations du comité de village, où on lit la mention «Réglé», en référence au problème soulevé, avec signature, cachet et date.
On réalise alors que quelque chose manque dans les bureaux des exécutifs communaux et des autorités locales. Dans le bureau du comité d’Iguersafène, l’ordinateur ne sert pas seulement à stocker les statistiques démographiques et matérielles du village ; il affiche aussi les maquettes des projets en cours ou à venir. Un Musée du chahid a été réalisé au centre du village ainsi qu’une place des Martyrs, en hommage aux 99 fils d’Iguersafène qui ont donné leur vie pour libérer le pays.
Un chantier a été engagé et tient à cœur les villageois : une salle polyvalente qui abritera les bureaux des associations et du comité, une crèche, une salle des fêtes et une autre de sports ainsi qu’une médiathèque. La structure sur trois niveaux, d’un coût de 3,7 milliards de centimes, est réalisée à 25%. Les 5 millions de dinars obtenus avec le prix du village le plus propre seront versés dans ce projet, qui nécessite un apport financier plus conséquent.
Les citoyens d’Iguersafène, dont beaucoup attendent encore l’électricité, ont compté jusqu’ici sur leurs propres ressources pour sortir du dénuement de la vie en montagne, mais leur sacrifice pendant la guerre d’indépendance a été trop lourd pour continuer à lutter pour leur développement sans l’aide de l’Etat.
Djaffar Tamani

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