vendredi 13 février 2015

Régime Social des Indépendants (RSI) : un problème considérable et mal posé

Le 12 février 2015 par Bertrand Nouel pour l'iFRAP

Ils sont 6,1 millions d’affiliés au régime social du RSI, ils ne font pas de bruit et détestent même en faire, ils n’en ont pas d’ailleurs le temps, sauf revendications sectorielles (les chauffeurs de taxi), ce sont les indépendants et libéraux. Mais aujourd’hui une colère noire gronde, déclenchée par une pagaille monstre dans le traitement des dossiers. Pagaille due à un dysfonctionnement informatique majeur qui a écrasé des dossiers. Depuis 4 ans, l’ordre n’est pas encore revenu, et des erreurs de traitement insupportables se produisent toujours, à quoi il faut ajouter une gabegie certaine dans le coût de fonctionnement des services, des dépenses somptuaires…
Mais, si cette pagaille met le feu aux poudres, le problème essentiel et durable n’est pas là, c’est celui mis en lumière par le fait que les indépendants doivent payer pour les deux parts de cotisation qui sont autrement divisées entre employeurs et salariés. Dans un système où les employeurs paient au moins les deux-tiers des charges, notre système de protection sociale n’est simplement pas viable pour tous les indépendants dont les revenus sont faibles, et conduit à des injustices dont il faut absolument sortir, soit en mettant en jeu la solidarité nationale, soit en développant un système d’assurance privée.

On a, et c’est certes heureux, depuis longtemps axé la défense du petit commerce sur la règlementation des grandes surfaces. Mais au point d’en oublier les problèmes ayant pour origine les prélèvements d’origine fiscale et parafiscale.
La disparition record des cafés français, qui ne peut pas être attribuée au développement de la grande distribution, a fait l’objet d’études mettant en exergue des causes sociologiques expliquant pourquoi ces cafés cessent peu à peu d’être un lieu de rencontre pour les habitants. Mais cela n’explique pas tout, et les réseaux sociaux fourmillent d’exemples expliquant comment les prélèvements en cause paupérisent la profession. Et maintenant on assiste au développement d’associations aux noms divers, comme les Pendus, les Tondus, les Citrons, Sauvons nos entreprises etc…, qui préparent un printemps chargé de manifestations.
Nous présentons ci-dessous un tableau, établi avec le simulateur officiel du RSI, indiquant ce qui reste après paiement des cotisations sociales, suivant diverses hypothèses de revenu brut, selon que l’on est indépendant, salarié ou même bénéficiaire du RSA.
Bénéfice annuel de l’indépendantRémunération brute annuelle du salariéRSA annuel (couple sans enfant), avec aide au logementCotisationsReste
10.0004.6625.338
15.0006.9408.060
17.484 (= smic brut)8.0859.399
17.484 (= smic brut)3.76113.812
9.24909.249
28.000 (= 1,6 smic)12.95015.050
28.000 (= 1,6 smic)5.88022.120
40.00018.16621.834
40.0008.40031.600

Le constat insupportable

Les chiffres de bénéfice que nous avons pris comme exemple conviennent pour un café ou un petit commerçant ou encore un petit artisan. Pour un café de petite commune rurale, dont le bénéfice est traditionnellement d’un sixième du chiffre d’affaires, un bénéfice annuel de 17 484 euros, correspondant à 105 000 euros de chiffre d’affaires, est chose courante. Or, c’est le chiffre du smic brut sur 35 heures et 12 mois. Que reste-t-il au cafetier après 54% de cotisation RSI ? 9 399 euros par an, soit ce que perçoit à très peu de choses près le bénéficiaire d’un couple au RSA, qui ne travaille pas, alors que notre cafetier, outre le rôle social qu’il joue dans une petite commune, effectue des semaines de plus de 70 heures, etc…, ! Sur la même somme, il restera par contre au salarié au smic 13 812 euros. Et la différence entre indépendant et salarié continue à se constater au fur et à mesure que les bénéfices augmentent. Quant à l’indépendant dont le bénéfice n’est que de dix mille euros, sa protection sociale lui coûte 47% et il lui reste par mois 445 euros, soit beaucoup moins que le RSA individuel !
C’est tout simplement aberrant, insupportable et injuste. Et c’est ainsi qu’en outre on voit le tissu de nos indépendants libéraux se déchirer complètement, conséquence inévitable d’un système intenable. Ne voyons-nous pas tout autour de nous les petits commerçants fermer pour ne jamais rouvrir faute de repreneurs, et ne voit-on pas que ces petits commerces et artisanats sont la plupart du temps tenus par des personnes âgées, qui durent jusqu’au point extrême où ils ne peuvent plus exercer leur activité, ni la céder, ni prendre une retraite décente à laquelle ils ne peuvent prétendre ?

Pourquoi ?

Parce que l’indépendant n’a pas d’employeur et qu’il doit faire face à l’addition des deux parts de cotisations sociales. Pour fixer les idées (voir tableau), le coût du travail pour l’employeur d’un salarié dont la rémunération est égale à 1,6 smic, limite des allègements Fillon, est de 40 000 euros par an pour un salaire brut d’environ 28 000 euros. Sur la base de prélèvements sociaux de 43% pour l’employeur et de 21% pour le salarié, le total de ces prélèvements est de 17 900 euros (64% du salaire brut). Un indépendant avec un bénéfice de 28 000 euros ne paiera que12 950 euros de cotisations [1], mais il ne lui restera au final (sauf impôt sur le revenu) que 15 050 euros alors qu’il restera au salarié 22 120 euros (voir tableau). De plus, pour un petit commerçant ou artisan, surtout dans une petite commune, un bénéfice de 28 000 euros est certainement plus rare qu’un salaire de 1,6 smic.
A titre d’observation, il serait bon que les bulletins de salaire soient mieux présentés pour que le salarié prenne meilleure conscience que sa rémunération véritable est son salaire « super brut », c’est-à-dire son salaire brut augmenté des charges payées par l’employeur dans la mesure où elles correspondent à un avantage différé. C’est ainsi que pour les branches maladie et vieillesse, l’employeur acquitte 29% de cotisations et l’employé seulement 11% plus 8% de CSG/CRDS.

Que faire ?

De toute évidence la valeur ajoutée par un travailleur indépendant n’est pas prise en compte à un niveau égal à celui d’un salarié d’une entreprise, et ce pour une bonne partie de ces indépendants. C’est même le cas pour une catégorie sociale comme celle des médecins généralistes, dont le tarif de consultation, figé à 23 euros, est offensant par rapport à celui du mécanicien automobile (75 euros en moyenne l’heure selon l’INSEE).
S’y ajoute le coût record de la protection sociale en France, dont les cotisations sont censées, avec la CSG/CRDS, assurer la couverture.
Si l’on veut éviter que le tissu de nos petites entreprises se dissolve complètement, et éviter que la fraude fiscale se développe, (ce qu’il faut bien admettre qu’elle fait), la seule solution qui apparaît serait de faire jouer la solidarité nationale en faveur des indépendants dont le revenu est manifestement trop faible pour supporter les prélèvements sociaux, comme le tableau ci-dessus le montre. De toutes façons, non content d’être à des niveaux records (34% du PIB maintenant), le financement de la protection sociale repose beaucoup trop sur les revenus du travail comme on le sait. C’est bien connu pour les entreprises dont les cotisations patronales n’ont pas d’équivalent dans le monde, ce qui pénalise très fortement ces entreprises. La solution est alors, plutôt que de mettre en jeu la solidarité nationale en augmentant encore les dépenses publiques et les impôts, de donner aux indépendants le choix entre le régime public qui cesserait d’être obligatoire et un système d’assurance privée qui reste encore à définir.


[1] Ne pas oublier entre autres que les travailleurs indépendants ne peuvent recevoir aucune indemnité de chômage, et donc n’ont pas à acquitter de cotisations correspondantes.

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